HISTOIRE DU CYCLISME ET DU DOPAGE

Article paru dans "le monde" du 21/07/98


Au regard de la récente histoire du vélo, il ne s'agit finalement que d'une affaire parmi tant d'autres. L'exclusion de l'équipe Festina du Tour de France n'a ni le caractère dramatique ni le côté rocambolesque de nombreux épisodes des trente dernières années. Ce rebondissement supplémentaire changera-t-il la face du cyclisme, comme on l'entend dire aujourd'hui dans l'entourage du peloton ? Le souhait n'est pas nouveau. A de nombreuses reprises dans le passé, on le formula à l'identique, souvent avec conviction, parfois avec véhémence, comme au lendemain de ce funeste 13 juillet 1967.
Ce jour là, sur le mont ventoux, un cycliste s'était effondré à un km du sommet. L'anglais Tom Simpson avait perdu connaissance irrémédiablement. L'autopsie, quelques jours plus tard, révéla la présence d'amphétamines dans son organisme.
Si l'absorption de substances censées améliorer la performance est une pratique beaucoup plus ancienne dans le vélo, il est traditionnel de faire commencer son histoire du dopage à partir de ce drame. La mort de Tom Simpson est en effet survenue deux ans seulement après l'adoption, en France, d'une loi antidopage mettant au ban un évantail de pratiques. L'application du texte ne se fit pas sans douleur, comme le prouva, en juin 1966, la grève symbolique entreprise par les coureurs du Tour.

Le refus d'Anquetil
La disparition de Tom Simpson n'a pas changé grand chose. Deux mois après le drame du Ventoux, Jacques Anquetil refuse de se soumettre au contrôle antidopage alors qu'il vient de ravir à Roger Rivière le record du monde de l'heure. L'Union cycliste internationale (UCI) refuse d'homologuer sa performance. Pourtant, les tests antidopage, qu'Anquetil et les autres jugeaient comme des "méthodes vexatoire", se généralisent.
Nouveau coup de tonnerre : lors du Tour d'Italie 1969, Eddy Merckx est déclaré positif au réactivan. Il est exclu de la course et condamné à un mois de suspension. L'affaire va prendre une telle dimension, mêlant hommes politiques, coureurs, journalistes, que l'UCI décide de lever la sanction, au bénéfice du doute. Quatre semaines plus tard, Merckx peut prendre le départ du Tour de France.
Le dopage devient alors peu à peu un fait de société. En 1975, Eric de Vlaeminck est interné dans un service psychiatrique : le septuple champion du monde de cyclocross a perdu la tête, sans doute pour avoir consommé trop de pilules miracles dans sa carrière. Deux ans plus tard, dans le Tour de France, le dopage est maintenant au centre de toutes les discussions. La suspicion se répand dans la course, une liste noire circule sous le manteau. Six cas positifs sont officiellement révélés, dont ceux de Luis Ocana et Joop Zoetemelk. Ce qui semble peu comparé à ce qu'annonçaient les rumeurs.

Le cas Pollentier
En 1978, la "ficelle" est, cette fois, trop grosse pour passer inaperçue : vainquer à l'Alpe-d'Huez, le belge Michel Pollentier a dissimulé sous son maillot une poire contenant de l'urine "propre". Pollentier a dépassé les bornes. Il est renvoyé chez lui. La publicité faite autour de cette affaire douchera quelque peu les ardeurs. Aucun cas concernant des coureurs connus n'est mis au jour jusqu'au milieu des années 80. Ce qui n'empêchera pas la police et la justice de s'intéresser, parallèlement, à quelques trafics d'amphétamines.
En 1986, la brigade des stupéfiants fait une descente aux six jours de Bercy. L'année suivante, deux procès occupent l'actualité. Le premier, à Laon, voit défiler dans le box des accusés vingt médecins, vingt pharmaciens et vingt coureurs parmi lesquels des anciens équipiers de Bernard Thévenet et Joop Zoetemelk. Le second procès, à Poitiers, fait suite au décès d'un cycliste peu connu, Jean-Philippe Fouchier, lors d'un critérium.
La chronique retrouve le macadam la saison suivante. En 1988, le leader du Tour de France, Pedro Delgado, est déclaré positif au probénécide, un produit qui permet de masquer les stéroides anabolisants. L'espagnol s'en sort indemne, profitant du fait que la substance trouvée dans ses urines est interdite par le C.I.O mais ne l'est pas encore par l'UCI. En sauvant son maillot jaune, Delgado ouvre la voie à un cyclisme de plus en plus procédurier. En 1990, Gertjann Theunisse lui emboîte le pas. Contrôlé positif à la testostérone pour la deuxième fois de sa carrière, le néerlandais aurait dû être sanctionné comme un récidiviste. Il ne le sera pas, expliquant (à raison) n'avoir jamais reçu de notification de son premier contrôle.
Tout semble bon pour passer au travers des mailles du filet. En 1991, l'équipe PDM préfère quitter le Tour en prétextant une intoxication alimentaire plutôt que de dévoiler la vérité (probablement un mauvais dosage d'EPO). En 1994, Miguel Indurain est convaincu d'avoir absorbé un dilatateur de bronches (le salbutamol) lors du Tour de l'oise. On le relaxe néanmoins, car le coureur a pu produire un certificat médical le déclarant asthmatique. Un an plus tôt, Alex Zülle avait fait exactement de même.

L'étau se resserre
L'étau, pourtant, se resserre autour des coureurs. Pris aux amphétamines, Pascal Lino est suspendu six mois en 1993. Attrapé à la caféine, Gianni Bugno écope de deux ans en 1994. La fameuse loi du silence est parfois brisée. En 1996, Philippe Gaumont et Laurent Desbiens accusent le médecin de l'équipe GAN de leur avoir prescrit de la nandrolone. Dans l'affaire Festina, les aveux de Bruno Roussel à la police ont eu pour conséquence de pousser Richard Virenque et ses coéquipiers en dehors du Tour de France alors que rien ne prouve qu'ils soient dopés. Plus besoin de contrôle positif pour voir planer l'ombre du dopage. Preuve que les temps changent quand même un petit peu...


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