Le Monde du jeudi 13 mai 1999


Richard Virenque reconnaît s'être approvisionné auprès de Bernard Sainz
Philippe Broussard


Le coureur varois, entendu mardi 11 mai par la brigade des stupéfiants parisienne, avait absorbé un médicament interdit (le Céphyl) et reçu une injection d'un produit surnommé le « venin » avant la course Milan-San Remo disputée le 20 mars

Cinq personnes entendues au quai des Orfèvres, un champion sur les nerfs (Richard Virenque) dont nul ne sait trop s'il a avoué ou non s'être dopé… L'enquête de la brigade des stupéfiants dans le milieu cycliste a connu de nouveaux rebondissements, mardi 11 mai. Mercredi matin la question essentielle concernait toujours Richard Virenque : l'ancien meilleur grimpeur du Tour de France, connu pour avoir toujours réfuté les accusations de dopage, est-il passé aux aveux dans les bureaux de la PJ ? A-t-il eu recours aux services de l'avocat Bertrand Lavelot et du faux docteur Bernard Sainz, deux hommes considérés par les enquêteurs comme les organisateurs d'un système d'approvisionnement en produits illicites (Le Monde du 11 mai) ?
Dans la nuit, le défenseur de Richard Virenque, Me Gilbert Collard, avait démenti les « aveux » annoncés par des médias. « Richard Virenque n'a jamais reconnu avoir pris de produits dopants », avait affirmé l'avocat, contredisant ainsi les « sources policières » citées par certains journalistes.

Selon nos informations, il semble que Richard Virenque n'ait pas avoué ; du moins aussi clairement qu'on s'est empressé de le dire. De bonnes sources, on indique qu'il s'agit là d'un « raccourci de journalistes ». Les mêmes sources précisent cependant que Richard Virenque, « dans un état de total abattement », a donné des précisions déterminantes sur ses relations avec Bernard Sainz, qui laissent peu de place au doute sur les méthodes de préparation du champion.

Celui-ci a admis avoir eu recours à cet éleveur de chevaux, surnommé « docteur Mabuse », pour obtenir des substances qu'il croyait « homéopathiques ». C'est ainsi que le coureur varois a révélé avoir absorbé deux produits, fournis par Sainz, à la veille de la classique italienne Milan-San-Remo, disputée le 20 mars. A l'entendre, il s'agissait d'un médicament, le Céphyl (laboratoires Boiron). Le Céphyl associe aspirine, caféine, ainsi que diverses substances à doses infimes (belladone, etc.). L'intérêt de ce médicament est de compenser l'épaississement du sang provoqué par l'érythropoïétine (EPO) par l'effet fluidifiant de l'aspirine. La dose antiaggrégante correspond justement à un comprimé. Mais Richard Virenque a également reconnu avoir eu recours, toujours avant Milan-San-Remo, à un autre produit, surnommé d'après lui le « venin » dans le peloton. Or, à en croire plusieurs sources interrogées par Le Monde dans le milieu cycliste, le « venin » désignerait l'EPO ou tout autre produit injecté par piqûre.

Interrogé dans la soirée de mardi par l'agence Reuters, Me Collard, défenseur de Richard Virenque n'a pas évoqué les déclarations de son client sur le « venin », le Céphyl et Milan-San-Remo. L'avocat a simplement déclaré : « Il [Richard Virenque] s'est expliqué sur la réalité de ses relations avec Me Lavelot, et celui qu'on appelle « le docteur Mabuse », il s'est expliqué sur des écoutes téléphoniques. Mais il n'y a jamais eu d'aveu où il aurait reconnu s'être dopé ». Selon une source policière, il reste à savoir si Virenque a « tout dit » à son avocat.

Quoi qu'il en soit, cette journée de mardi fera date. Arrivé dans la matinée pour être entendu en tant que témoin, Richard Virenque a vite pris la mesure des éléments réunis contre lui. Les surveillances, notamment téléphoniques, ont démontré ses liens avec MM. Sainz et Lavelot, qui était par ailleurs l'un de ses avocats.

Très marqué par une confrontation houleuse, la veille, à Lille, dans l'affaire Festina, le coureur a d'abord refusé de se soumettre à des analyses sanguines, urinaires et capillaires. Ses cris de colère ont raisonné dans les couloirs du 36, quai des Orfèvres, des témoins parlant même de « crise ». Il a fini par retrouver son calme dans le bureau d'un commissaire qui s'est entretenu avec lui en tête-à-tête. Plus tard, dans la soirée, Richard Virenque a finalement accepté de se soumettre aux analyses ; comme l'avaient fait, quelques jours plus tôt, la douzaine de cyclistes déjà interrogés par la police.

Outre Virenque, quatre autres personnes avaient été convoqués, mardi. Marc Madiot, directeur sportif de l'équipe La Française des Jeux, et son adjoint Alain Gallopin, ont souligné le rôle joué par MM. Sainz et Lavelot dans le milieu. Selon eux, l'avocat et son ami éleveur de chevaux intervenaient jusque dans le choix des coureurs à aligner sur telle ou telle course. Me Lavelot était par ailleurs trésorier de l'association soutenant l'équipe La Française des Jeux, dont plusieurs coureurs (Franck Perque, Yvon Ledanois) ont été mis en cause dans cette affaire.

Un autre coureur professionnel, Laurent Roux (Casino) a été entendu par les policiers avant de subir des analyses. Son nom, et celui de Richard Virenque, figuraient dans la liste de supposés « consommateurs », établie de longue date par les enquêteurs, qui surveillaient Me Lavelot et le « docteur Mabuse » depuis dix mois. Roux a admis avoir eu des « doutes » sur les produits de Sainz mais il a laissé entendre que cette forme de préparation faisait partie d'un système admis dans le milieu du cyclisme. Enfin, un coureur semi-professionnel, Stéphane Corlay, également convoqué mardi au quai des Orfèvres, a reconnu s'être approvisionné en produits dopants et masquants auprès de Bernard Sainz.

L'enquête devrait désormais connaître une accalmie. Le juge d'instruction Michèle Colin attend les résultats des différentes analyses ordonnées dans ce dossier, aussi bien celles concernant les coureurs que celles portant sur les dizaines de fioles suspectes saisies chez MM. Sainz et Lavelot. Comme Le Monde l'annonçait dans son édition du 12 mai, une quinzaine d'autres coureurs, notamment ceux dont les noms apparaissent sur des protocoles établis par le faux docteur, devraient être convoqués prochainement au quai des Orfèvres.

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